Germaine Acogny joue dans sa danse solo “À un endroit du début” (photographie fournie)

À un endroit du début || Somewhere at the beginning (2015)

Iya Taoundé — La Mère est revenue

Par Sarah Davies Cordova (écrivain invitée)

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Arrivée en scène en silence, la doyenne de la danse africaine contemporaine, Germaine Acogny entre en discussion avec son feu père, ancien fonctionnaire du régime colonial de la France, et danse un solo devant et avec Aloopho, sa grand-mère paternelle, une prêtresse yoruba du Dahomey (Bénin) qu’elle n’a jamais connue. Palimpseste corporel et vocal, cette œuvre se compose de textes (le livre de son père, textes affichés, contes oraux, voix off bavardes et contestataires) et d’images (photos du père et de sa grand-mère, vidéos de scènes et paysages sénégalais et français, séquences de vies du passé et du présent) interprétés et projetés sur un rideau mouvant tout en fils noirs. Celui-ci découpe et tisse la scène intemporelle en deux espaces-temps — le monde actuel du solo et celui des souvenirs, des associations et des révoltes — sur laquelle frémit, surgit, pulse, et reflue une composition musicale plurielle qui mixe sans coutures silence et musiques anciennes et contemporaines d’Afrique et d’Occident.

Avec À un endroit du début Acogny poursuit son autobiographie postcoloniale qui se sédimente à partir de dialogues textualisés et corporéalisés avec ceux qui lui ont dégagé les racines de l’Histoire culturelle et spirituelle d’Afrique (Léopold Sédar Senghor) et de la décolonisation (Aimé Césaire), ainsi que celles de la danse traditionnelle et archaïque (Maurice Béjart) en passant par les mythes et rituels classiques du monde d’antan qu’elle interroge et réarrange aux côtés de leur formes socio-culturelles contemporaines désacralisées.

Ainsi qu’avec Mon élue noire #2 (2015, son Sacre du printemps), son rôle de Tanam la révélatrice dans le film Yao (2018), et Songook Yaakaar (“Affronter l’espoir” 2010) avec sa scénographie documentaire, Acogny réitère dans À un endroit du débutl’universalité de ses sujets de prédilection tels la condition de la femme, le mariage, les religions, l’Histoire esclavagiste et coloniale en Afrique, l’émancipation et la migration, tout en soulignant combien ils lui sont intimement personnels en y égrenant son identité plurielle : Germaine, Marie, Pentecôte, Salimata, Acogny.

Au carrefour des époques, traversant frontières et civilisations, brisant furieusement les silences que les ruptures de transmission créent de génération en génération, la longue colonne vertébrale d’Acogny — serpent ondulant et baobab frémissant — traduit ses racines jusqu’au bout de ses bras, jusqu’à la pointe de ses doigts qui au sol et dans l’air, en ailes déployées, figures en huit verticales et horizontales et rouleaux plus ou moins serrés devant et au-dessus d’elle, tracent sa Poétique de la Relation.[1]

Le retour d’Aloopho en colombe de la paix lors de la naissance de Germaine à la Pentecôte signalait et la transmission de ses pouvoirs sacrés à sa petite-fille, et son legs d’un autre visâge, celui de mère de son propre père. C’est ainsi qu’À un endroit du début signifie allégoriquement quand, après s’être extirpée du costume et du masque d’oiseau, Iya Taoundé Acogny parait en mère et fille baptisant son papa et dansant son pardon.

[1] Voir Édouard Glissant qui trace dans Poétique de la Relation (Paris: Gallimard, 191) un imaginaire du Tout-Monde qui creuse (dans le temps) et met en contact réciproque (dans l’espace) la diversité plurielle des cultures et identités du monde.

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JOMBA! Contemporary Dance Experience
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Written by JOMBA! Contemporary Dance Experience

JOMBA! Contemporary Dance Experience is a Durban-based festival that celebrates critical contemporary dance from Africa and across the globe

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